Dans les paroles de Thouraya Bouyahia: « derrière chaque femme juge, se trouve une femme pleine de droits et d'indépendance féminine qui cherche à prouver son potentiel et ses capacités. »

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Intervention de Thouraya Bouyahial lors de la 7ème édition de l’école d’été en partenariat avec l'Institut National du Travail et des Etudes Sociales (INTES) et l’OIM sous le thème Enfants et Migration, Tunis 2022.
Intervention de Thouraya Bouyahial lors de la 7ème édition de l’école d’été en partenariat avec l'Institut National du Travail et des Etudes Sociales (INTES) et l’OIM sous le thème Enfants et Migration, Tunis 2022.

Diplômée de l'Institut Supérieur de la Magistrature en 2001, Thouraya Bouyahia s'est imposée en tant que juge de troisième rang à la Cour d'appel de Sfax, le sommet du système judiciaire tunisien. Lauréate du Prix du Président pour les meilleurs diplômés de l'Institut Supérieur de la Magistrature, elle a débuté en tant que juge de la sécurité sociale, gravissant ensuite les échelons pour devenir "juge des enfants" et présider des départements judiciaires variés tels que la chambre civile et la chambre  criminelle.

En 2017, elle est honorée de la Médaille nationale du mérite du secteur de l'enfance, récompensant son engagement dans la justice pour mineurs. Expertise qu'elle a également partagée à travers la rédaction d'articles. 

Pour cette juge, “obtenir une justice équitable nécessite un système judiciaire qui reconnaît pleinement l'égalité des genres, qui garantit aux femmes le droit de choisir leur carrière et qui assure leur statut de citoyennes impliquées dans la société.”

Engagée dans le secteur scientifique et éducatif pour les institutions gouvernementales et les organisations de la société civile, elle met en commun son savoir-faire en matière de genre à travers des sessions de formation et la création de directives visant à lutter contre la violence envers les femmes et les filles.

Aux côtés de l'ONU Femmes Tunisie, Thouraya Bouyahia anime des ateliers qui sensibilisent à la bonne application de la Loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017, relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ainsi que d’autres formations dédiées à la prise en charge des femmes victimes.

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Ma carrière juridique a été motivée par le désir profond d'être une force positive dans la société, de lutter contre l'injustice et de protéger les droits fondamentaux. En tant que femme juge, j'ai surmonté des défis, non pas liés au genre en Tunisie, mais à la responsabilité immense de ce rôle. La magistrature n'était pas seulement un métier, mais une opportunité de contribuer à l'établissement de la suprématie du droit et de la justice.

Le moment “clef” de ma carrière a été ma nomination en tant que juge des enfants. J'avais pour mission de prendre des mesures correctives pour les enfants en conflit avec la loi, âgés de 13 à 18 ans. En plus de l'application des lois, j'ai joué un rôle social essentiel en réhabilitant les jeunes délinquants marquant dans leur parcours vital un point de départ vers de nouvelles perspectives prometteuse. Et j’en suis fière. Je me rappelle d’ailleurs avec une vive émotion ma collaboration avec le village SOS qui consistait à rapprocher les jeunes de la justice et les sensibiliser à leurs responsabilités.

La présence des femmes dans le système judiciaire est indispensable pour assurer l'équité. Leur participation dans le pouvoir judiciaire tunisien est d’ailleurs significative, avec des femmes occupant des postes autrefois réservés aux hommes. Et il est important que chacun dans la société puisse trouver quelqu’un qui lui ressemble dans le système judiciaire. Expliquez-moi : comment peut-on assurer les droits des femmes lorsque le système judiciaire est exclusivement masculin? Quel message transmettons-nous aux femmes dans la société lorqu’un un système judiciaire censé être équitable ne reconnaît pas l’existence de femmes juges ?

Ce qui est sûr, c'est que derrière chaque femme juge, il y a une femme pleine de droits et d'indépendance, qui cherche à prouver son potentiel et ses capacités. Et, seules ces femmes peuvent apporter une contribution créative et qualitative dans le domaine judiciaire.

Changer les mentalités, briser les stéréotypes et garantir l'égalité des genres sont des responsabilités partagées. En devenant présidente de la Chambre criminelle, j'ai prouvé que la nomination dépend de la compétence, de l'intégrité et de l'impartialité, sans discrimination de genre. Et, cet épanouissement professionnel est dû à l'équilibre entre le travail de juge et la vie personnelle que j’entretiens. C’est délicat, pour sûr, mais j'ai trouvé le soutien nécessaire dans mon mariage avec un homme aimant et compréhensif qui respecte mon rôle social et auprès de mes deux enfants. Pour anecdote, ma fille a commencé ses études universitaires à la faculté de droit. L’intégrité, la foi en une justice saine et équitable se transmet. Elle se diffuse.  

Je conseille à chaque femme juge de prendre du temps pour elle et de rester ouverte à son environnement. La stabilité personnelle contribue à l'excellence professionnelle.

En mon sens, la Journée internationale des femmes juges est une occasion spéciale pour rappeler le rôle actif des femmes dans la justice et dans la société.

Je souhaite voir davantage de femmes compétentes présider la Cour de cassation tunisienne et la Cour Constitutionnelle. Dans ma mémoire, je garde l'image de femmes juges qui ont lutté pour l'indépendance de la justice. Être une femme juge signifie représenter deux aspects essentiels : être une femme engagée dans la défense des droits des femmes et être une juge dédiée à l'indépendance judiciaire et à la recherche de la justice. C'est un rôle ambitieux et gratifiant, contribuant à changer les mentalités et à établir le véritable statut des femmes dans la société."